L’époustouflant lancement du Fujifilm X100VI : une leçon de positionnement

Imaginez que vous lanciez un nouveau produit. Imaginez qu’en moins d’un mois vous enregistriez entre 500.000 et 1.000.000 pré-commandes (selon les sources), alors que votre capacité de production mensuelle est de … 15.000 produits. C’est ce qui arrive en ce moment-même à Fujifilm et à son nouvel appareil photo (le X100VI). Découverte du phénomène.

Le cas Fujifilm

Fujifilm : une marque à part

Dans le monde de la photo numérique, Fujifilm tient une place à part. Alors que tous les acteurs (Nikon, Canon, Sony…) se précipitent sur le « full frame » (grosso modo, un capteur numérique de la dimension des anciennes vues 24*36), Fujifilm décide de bouder le format et développe deux gammes : l’APSC (plus petit) et le moyen format (plus grand). De même, alors que ses concurrents s’emploient à développer des appareils toujours plus complexes (plus « professionnels ») aux multiples réglages digitaux, Fujifilm persiste à proposer le réglage manuel, par molette, du triptyque photographique (ouverture / vitesse / sensibilité). On peut rajouter à cela deux caractéristiques très distinctives :

  • Un design néo-rétro très assumé (et souvent réussi)
  • Une banque de simulations de films, qui permet aux photographes amateurs d’obtenir des rendus très « vintage » sans passer par la case fastidieuse de l’édition sur logiciel photo (ce qu’il est aussi tout à fait possible de réaliser)

Le cas X100VI

C’est dans ce contexte que Fujifilm lance son nouvel X100, 6ème du nom. Le X100, c’est un OVNI dans le monde de la photo :

  • Une focale fixe (vous ne pouvez pas changer d’objectif)
  • Une visée numérique et/ou directe (à l’ancienne, donc)
  • Un look (très) vintage

Et la dernière version embarque les dernières innovations de la marque (capteur 40 Mpix, stabilisation…). Pourtant, tous ces éléments pris séparément existent à la concurrence.

Alors comment expliquer le phénomène ?

 

Océan Bleu / Océan Rouge

Le premier X100 a été lancé en 2011 et a quasiment créé sa propre catégorie. Le plus surprenant, c’est qu’il y resté longtemps seul. Même aujourd’hui il n’est pas véritablement concurrencé. Il existe bien quelques autres appareils à focale fixe moins onéreux mais aux performances très inférieures. De l’autre côté du spectre, seul le Leica Q3 le challenge sur les performances, mais à un prix 3 fois plus élevé (5800€ contre 1800€).

Bref, le X100 est seul au monde. Il a réussi à créer son Océan Bleu*. Les autres marques sont restées (jusqu’à récemment) attentistes, concentrant leurs efforts à toujours développer les performances de leurs « full frame ».

A force, ceux-ci sont devenus lourds, chers, complexes à manipuler. Bref, ils ne répondent plus aux attentes (et budget) de beaucoup de photographes amateurs « éclairés », pour qui « la photo ratée c’est celle qu’on n’a pas prise ». C’est-à-dire que le moment qui aurait dû être figé, ne l’a pas été, faute de pouvoir emmener son appareil partout avec soi.

Bref, le X100, c’est le retour à une pratique photographique instinctive, simple, avec des résultats de qualité. Ce qui fait finalement l’essence du plaisir de la photo.

*La distinction ccéan Bleu / océan Rouge a été popularisée par deux chercheurs en stratégie de l’INSEAD, W. Chan Kim et R. Mauborgne, dans leur ouvrage « Stratégie Océan Bleu : Comment créer de nouveaux espaces stratégiques » (2005). Un océan rouge est un environnement stratégique où chaque entreprise veut faire mieux que la concurrence, d’où une bataille intense pour acquérir des parts de marchés. L’océan bleu, quant à lui, se caractérise par un espace stratégique non exploité, quasiment libre de concurrence et correspondant à des marchés inconnus ou presque.

Qu’est-ce que cela illustre du point de vue du positionnement ?

Comparaison n’est pas raison

Ils ont dû être nombreux chez Fujifilm, il y a quelques années, à s’interroger quant à la stratégie poursuivie et au délaissement de ce qui semblait se profiler comme le segment phare de la photo numérique (le « full frame ») !

Une grande partie du génie de la marque a été d’encadrer cette catégorie « reine » par une offre APSC haut de gamme et une offre « moyen format » accessible. Ce double positionnement propose à tout photographe, qu’il soit amateur éclairé ou professionnel, une alternative convaincante aux solutions « full frame ».

Ce pas de côté a permis à la marque de développer ses modèles sans être soumis à la pression constante et permanente de concurrents directs, toujours en surenchère technologique.

Et pour votre entreprise, quels seraient les marchés « adjacents » ?

 

Le client a toujours raison

Dans leur course à l’armement technologique (poussés à cela par les comparatifs des revues spécialisées), les principaux fabricants d’appareils photo numériques semblent en avoir oublié… le client. En développant des appareils toujours plus complexes et imposants, ils lui imposent des phases de réglages fastidieuses, des menus digitaux pléthoriques, et des prix toujours plus élevés. Tout cela, seule une poignée de clients désormais peut l’assumer.

La gamme X100 a été pensée autour de la pratique photographique « In Real Life », avec des technologies de pointe mises véritablement à son service. Un X100 ne fait pas tout (il est peu adapté à la photo de sport ou à la photographie animalière), mais ce qu’il fait, il le fait bien.

Cet examen systématique des fonctionnalités « utiles » est indispensable. Il permet de concentrer la valeur sur quelques fonctionnalités clés (et d’éviter le surcoût des fonctionnalités moins cruciales). Il en ressort donc une offre au ratio valeur perçue / prix très avantageux.

Un exemple : un photographe a, la plupart du temps, une focale fétiche (35mm ou 50mm généralement), à laquelle son « œil » est habitué. Certains photographes très connus n’ont d’ailleurs photographié qu’avec une seule focale, toute leur carrière. En conséquence, le même objectif reste souvent « vissé » sur les boitiers… A partir de là, une focale fixe standard (équivalent 35mm dans le cas du X100) suffit dans de nombreux cas.

Et pour votre entreprise, quelles sont les conditions d’utilisation « IRL » de vos produits/services ?

 

Ton produit, au niveau sera

Tout cela néanmoins n’aurait pas été possible si Fujifilm n’avait pas démontré parallèlement une grande maîtrise technologique, au meilleur niveau.

C’est indispensable pour qu’un prospect soit suffisamment rassuré pour « franchir le pas » et choisir une solution qui s’écarte du « cœur » de marché.

Un positionnement réussi n’est donc pas forcément le fruit d’innovations de rupture, mais plutôt la capacité à mettre au service d’un concept d’utilisation assumé les technologies les plus avancées. C’est cette combinaison qui s’avère gagnante dans le cas du X100VI.

 

Les grandes étapes de la formulation de son positionnement

Définir ses personas

Le préalable à toute réflexion quant au positionnement devrait être celui de la cible adressée. Pourquoi ?

Chaque segment de marché a des attentes, des pratiques et des contraintes différentes. En essayant de plaire à tous, vous aboutissez généralement à une solution hypertrophiée, peu lisible et souvent chère.

Quelques questions à se poser :

  • A qui s’adressent en priorité mes produits / services ?
  • A quels besoins réels cela répond ?
  • Comment les utilisent-ils ? Avec quelles finalités ?
  • Quelles sont leurs frustrations ?
  • Quelles sont leurs contraintes ?
  • ….

Un positionnement réussi adresse généralement un persona prioritairement, et un ou deux personas adjacents. Dans le cas du Fujifilm X100VI par exemple :

  • Persona prioritaire : amateur éclairé, passionné de photographie, avec une prépondérance pour la photo de rue.
  • Persona adjacent : expert/professionnel (en deuxième appareil)

 

Définir le pitch

A partir de là, le plus simple consiste à formuler une définition simple du positionnement attendu de votre produit / service. En reprenant le cas Fujifilm X100VI, cela donnerait :

« Le X100VI s’adresse en priorité aux photographes amateurs éclairés, qui recherchent un appareil qu’ils aiment emporter avec eux, à l’aise dans les situations de photographie standard, qui produit des images au meilleur niveau de qualité, exploitables directement en sortie de boîtier ou disponibles dans un format qui peut être édité. »

 

Définir les « fonctionnalités clés »

Une fois le pitch défini (et testé), il est alors plus aisé de définir les fonctionnalités et caractéristiques clés du produit / service à développer.

Exemple appliqué au X100VI:

  • « … qu’ils aiment emporter avec eux » > design néo-rétro très attractif, poids contenu, finition de bon niveau, traitement « tout temps »…
  • « à l’aise dans les situations de photographie standard » > focale fixe, réglage manuels intuitifs (et/ou mode auto.)
  • « qui produit des images au meilleur niveau » > capteur 40 Mpix, qualité irréprochable de l’objectif
  • « exploitables directement en sortie de boîtier » > accès à 20 simulations de films
  • « disponibles dans un format qui peut être édité » > accès aux versions brutes (format RAW – RAF chez Fujifilm) des prises de vues

Le segment cible « photographes amateurs éclairés » donne aussi une indication du tarif « supportable ». Sur ce segment, la barrière des 2000€ constitue une forme de plafond.

 

En conclusion

Un positionnement réussi résulte rarement de la duplication de recettes éprouvées par d’autres sur le marché. Comprendre les attentes de sa clientèle cible, c’est avoir préalablement défini son marché cible. Et c’est ensuite avoir traduit ces attentes en fonctionnalités de son produit/service vraiment utiles. Avec cet effort, vous êtes en mesure de proposer une offre à la fois compétitive, lisible et très adaptée à son marché.

 

 

 

 

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