Discngine réinvente la négociation salariale

S’il est un domaine sensible au sein des entreprises, c’est bien celui de la réévaluation salariale. Stressant pour toutes les parties, frustrant souvent, peu démocratique et peu transparent la plupart du temps, c’est le processus de tous les dangers. 

 Pourtant, certaines entreprises tirent leur épingle du jeu et réussissent à développer des modalités qui rencontrent l’adhésion du plus grand nombre.  

Discngine est une entreprise française d’une soixantaine de salariés qui développe des logiciels pour la recherche en sciences de la vie. Elle a développé un modèle d’organisation original, très horizontal, proche de l’entreprise Opale (Reinventing Organizations, Frédéric Laloux). Depuis deux ans maintenant, elle met en œuvre un processus de réévaluation salariale qui rend le salarié acteur et responsable de sa réévaluation salariale, tout en offrant à l’organisation un cadre équilibré et sécurisé. Bref, la quadrature du cercle. 

 Nous avons demandé à Anne-Sophie Barthelet et Sébastien Conilleau, tous deux salariés de Discngine, de nous présenter le dispositif. 

Quels sont les raisons pour lesquelles vous avez repensé le système de rémunération chez Discngine ? Quels en sont les grands principes et les objectifs ? 

Sébastien : Avec notre organisation très horizontale, notre CEO devait réaliser l’intégralité des entretiens de réévaluation. Cela posait deux problèmes majeurs : 

  1. Ce qui était possible à 15 ne l’était plus à soixante, compte tenu du temps nécessaire. 
  2. Le CEO ne travaillant plus au quotidien avec chacun, il n’était plus en mesure d’évaluer correctement l’ensemble des contributions. 

 Anne-Sophie : C’est exactement pour cela que nous avons souhaité repenser collectivement notre système d’évaluation. Historiquement, nous sommes attachés à deux principes :  

  1. La rémunération ne doit pas être amputée par l’inflation et elle est donc automatiquement indexée sur le coût de la vie (IPC de l’INSEE) 
  2. Au-delà, une réévaluation doit donc correspondre à des apports nouveaux et significatifs du collaborateur, bénéfiques pour l’entreprise. 

 Sébastien : Le système que nous avons mis en place repose sur une évaluation par des pairs, qui examinent une demande de réévaluation formulée par un salarié. Nous avons cherché à respecter les grands principes qui nous tenaient à cœur. 

  • Volonté d’équité: des personnes ayant des apports comparables doivent être rémunérés de manière comparable 
  • Volonté de reconnaissance: une réévaluation salariale est quelque chose qui doit être significatif, d’où des paliers de 2k€ (brut annuel) 
  • Volonté de justesse: qui mieux que les pairs est capable d’évaluer la qualité de travail d’un collaborateur ? 
  • Volonté de responsabilisation: c’est au salarié de faire l’effort de demander une réévaluation et le niveau de celle-ci, ce qui l’oblige à se regarder honnêtement 
  • Volonté de continuité: historiquement Discngine a toujours augmenté les salariés faisant la preuve de leur engagement et de leur qualité de travail (7% d’augmentation annuelle en moyenne sur les années précédant la mise en place du système) 

 Je travaille chez Discngine, comment ça marche pour moi, concrètement  

 Sébastien : le point de départ, c’est la formulation de la demande de réévaluation, qui est de ma responsabilité en tant que salarié. Ensuite, je saisis à l’aide de cette demande le groupe dédié qui me propose plusieurs jurés potentiels et j’en choisis 3. Je discute avec le jury de ma demande qui décide (à la majorité) d’y accéder, de l’accepter partiellement ou de la refuser. La décision est ensuite transmise à la direction qui décide des modalités de mise en œuvre (immédiate, échelonnée, décalée dans le temps), mais qui peut aussi la refuser (droit de veto). Tout refus doit m’être expliqué. 

 Anne-Sophie : ce processus a été pensé et créé par des salariés. Pour ma part, dès que je me dis que j’ai progressé sur une activité, j’en garde une trace dans un document personnel dédié. Une fois par trimestre je réexamine ce document ; cela m’aide à définir si des apports suffisamment significatifs commencent à émerger. Cette pratique me contraint à me poser régulièrement la question de mon apport à l’entreprise. 

Une fois que je considère la liste d’apport suffisante pour pouvoir faire une demande, je la montre à au moins un de mes collègues pour avoir son avis sur ce que j’expose dans ce fichier. C’est une étape essentielle selon moi pour évaluer si ce que je mets en avant est également perçu comme une amélioration significative par d’autres personnes, qui peuvent d’ailleurs être impactées par ce que je présente. C’est une discussion souvent pleine d’enseignements qui m’aide à mieux formuler ma demande. 

focus sur le process

Le process est conçu de telle façon à rendre le salarié acteur et responsable de sa propre évaluation salariale. Ainsi, il est à l’origine de la requête en réévaluation, il justifie sa demande, il choisit les membres du jury qui statueront. La direction de l’entreprise décide des modalités de mise en œuvre de la décision prise par le jury et dispose d’un droit de veto, qu’elle devra justifier en cas de déclenchement.

L’évaluation salariale repose sur l’examen des apports sur 3 piliers :

  • Externe (World) : la participation active du salarié dans l’expansion, le développement et le maintien de l’activité
  • Interne (Discngine, entreprise Opale) : le modèle singulier d’organisation de l’entreprise requiert la participation de tous aux actions transverses
  • Maîtrise des activités : l’impact du salarié sur l’entreprise dans le cadre de l’exercice de son activité principale (développer, vendre, supporter…)

Sur chacun des piliers, le niveau minimum consiste à faire son travail et ne pas violer les valeurs de la société. Plus le niveau progresse, et plus l’impact du salarié est important. Par exemple, quelqu’un qui deviendrait un expert international reconnu dans un domaine d’intérêt pour Discngine bénéficierait probablement de la reconnaissance d’un apport élevé sur les piliers “World” et “Maîtrise des activités”.

Etape 1 : La requête

Le salarié rédige sa requête dans laquelle il précise le niveau demandé sur chaque pilier (Externe / Interne / Maîtrise des activités) en justifiant ces évolutions par les apports nouveaux qu’il décrit. Il l’envoie au groupe dédié à ce process

Etape 2 : La constitution du jury

Le groupe dédié propose une liste de membres du jury éligibles au salarié, parmi lesquels celui-ci choisit 3 personnes.

Etape 3 : La prise de décision

Le jury se réunit. Il dispose des éléments lui permettant de statuer (requête, historique…). Il discute de la requête avec le salarié. In fine, le jury prend sa décision, à la majorité, qui devra être argumentée : refus / acceptation partielle / acceptation totale.

Etape 4 : La validation et la mise en oeuvre

La décision est transmise au salarié et à la direction. Celle-ci décide des modalités de mise en œuvre (immédiate, échelonnée, décalée), mais peut aussi la refuser. Dans ce cas, le refus doit être motivé auprès du salarié.

En cas de refus, le salarié peut renouveler sa requête au bout de 6 mois. Sinon, il ne peut réaliser une nouvelle requête avant un délai de 12 mois.

Ce système est très innovant mais peut faire peur, vu de l’extérieur, du point de vue de la maîtrise économique. Quels sont les garde-fous ? Comment vous assurez-vous qu’il n’aboutit pas à une hausse incontrôlable des coûts salariaux qui pèsent sur l’entreprise ? 

 Anne-Sophie : A Discngine, la confiance est une valeur très importante et sans laquelle ce processus ne pourrait pas fonctionner. Une demande peut être acceptée totalement, partiellement ou rejetée par un jury de 3 salariés. 

De plus, la direction est partie intégrante du processus et s’assure que les demandes acceptées s’accordent avec la réalité économique de l’entreprise. Elle peut par exemple étaler l’application de l’augmentation dans le temps si nécessaire. 

Dans la pratique, nous avons eu quelques demandes un peu frivoles qui ont été refusées, mais aussi des salariés qui ont été encouragés par leurs collègues à soumettre une demande. 

 Sébastien : la réévaluation décidée par le jury est validée par la direction. Elle peut donc être rejetée, partiellement ou totalement (NDLR : voir les statistiques en conclusion); et comme le dit Anne-Sophie, l’application de la réévaluation peut aussi être étalée dans le temps. 

En réalité, depuis 2 ans il n’y a pas eu de “hausse incontrôlable des coûts salariaux”, bien au contraire, les salaires ont moins augmenté qu’auparavant ! 

 

A quels écueils avez-vous été confrontés ? Ce système convient-il à tous ? 

 Sébastien : le système repose sur une matrice de progression, volontairement un peu floue. Ainsi, le concept d’apport constaté n’est pas si facile à appréhender. Exemple : “j’ai suivi une formation sur la technologie X” n’est pas un apport ; “je suis capable de m’intégrer à une équipe qui utilise la technologie X” en est un. Du coup, la qualité des demandes est variable. Par ailleurs, nous avons longtemps pensé que le système ne conviendrait pas à tous, et que certains profils auraient des difficultés à formuler des demandes. Mais les statistiques récentes montrent que la plupart des collaborateurs se sont habitués à l’exercice. D’ailleurs, le nombre de personne n’ayant jamais fait de demande est désormais très réduit. 

 Anne-Sophie : La construction de ce processus fut un travail de longue haleine (plus d’un an), et arriver à le faire adopter par l’ensemble de l’effectif fut également compliqué. Passer d’un modèle où le salarié n’a pas son mot à dire sur son augmentation, à un système de demande, a légitimement fait émerger des questionnements.  

Il est évident que ce système peut être compliqué car il repose sur le regard porté par nos pairs sur notre activité. Personnellement, je le trouve très formateur, qu’on soit en position de jury ou de demandeur. Il m’oblige à réfléchir sur moi et mon travail, à travailler ma communication et sur comment juger pertinemment le travail de mes pairs. J’en suis très satisfaite. 

 NDLR : Pour la mise en œuvre du processus, l’entreprise a aussi dû répondre à deux exigences juridiques :  

  1. L’accompagnement d’une avocate spécialisée a été nécessaire pour mettre en place une politique de confidentialité spécifique afin de se conformer pleinement aux exigences du RGPD (traitement des données des salariés). 
  2. Lors de l’examen d’une demande, les jurés peuvent demander à avoir accès aux salaires des collaborateurs ayant des apports comparables. Pour que cela soit possible, un formulaire de consentement a été mis en œuvre. 

 Cela fait désormais plusieurs exercices que vous pratiquez, qu’en retenez-vous ? 

 Sébastien : Bien sûr, ce système n’est pas parfait, mais pour moi, une chose est certaine : il est bien meilleur que les autres systèmes auquel j’ai été confronté. Il correspond bien à nos valeurs telle que la transparence, la responsabilisation ou l’amélioration continue. 

 Anne-Sophie : C’est un processus très gratifiant ! Ce qui change vraiment c’est qu’aujourd’hui à Discngine tout le monde est actif dans sa réévaluation salariale. On connait les règles, ce n’est plus une somme donnée sans explication par son supérieur. Si on estime qu’on mérite plus il suffit d’initier le processus par une demande justifiée. 

 

En conclusion 

 Le système de réévaluation salariale mis en œuvre au sein de Discngine donne pleinement satisfaction et a rempli les objectifs qui lui ont été assignés.  

 Les chiffres parlent d’eux-mêmes, puisque depuis la mise en place il y a eu… 

  •  48 demandes de réévaluations 
  • 36 demandes acceptées totalement 
  • 10 demandes acceptées partiellement (9 par le jury, 1 par la direction) 
  • 2 demandes refusées par le jury 

 Ces résultats démontrent que le système fonctionne sainement : le jury joue pleinement son rôle de régulation, la direction n’intervenant plus qu’à la marge. 

 

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