Cassandre et Matthieu, les baroudeurs de l’innovation sont allés à la rencontre de Woowa Brother. Fondée en 2011 Woowa Brothers est aujourd’hui le leader de la foodtech en Corée du Sud. Le plus grand succès de l’entreprise est une application de livraison à domicile de repas qui a rapidement conquis le marché sud-coréen. Depuis l’entreprise s’est diversifiée et travaille actuellement sur le lancement d’un robot nommé Deli capable de livrer les plats à domicile. Comptant plus de 500 employés, Woowa Brothers a su se démarquer grâce à des pratiques et une culture managériales disruptives en Corée du Sud.
Suite à notre rencontre avec Sangwook, celui-ci nous propose de nous revoir le lendemain avec un de ses amis proches qui a accepté de nous rencontrer et de nous parler de son expérience chez Woowa Brothers. Nous sautons sur l’occasion ! Seungkwon nous étonne par son âge et le nombre d’expériences professionnelles qu’il a déjà vécu : 32 ans avec des postes chez Woowa Brothers, IBM et HP.
Très intéressé par les cultures managériales novatrices mises en avant par les entreprises, nous sommes ravis d’échanger avec lui, non seulement sur ses expériences, mais aussi sur les évolutions possibles du management en Corée du Sud. Une fois de plus, nous sommes infiniment reconnaissants envers Sangwook !
Ce qui nous interpelle
La bucket list
Réaliser les rêves de ses employés et créer une entreprise à leur image
La culture managériale de Woowa Brothers est particulièrement innovante en Corée du Sud. Dès 2011, le fondateur Kim Bong-jin a créé une Bucket list qui a permis à l’entreprise de se lancer dans une dynamique qui donne la parole aux employés afin de co-construire le futur de cette dernière.
De quoi s’agit-il concrètement ? Kim Bong-jin a demandé à tous ses employés de donner des idées pour le développement stratégique de l’entreprise et de l’environnement de travail. La promesse du CEO était la suivante : réaliser un maximum de rêves et ainsi créer « l’entreprise qui répond aux attentes de chaque employé » car « A good company is one that meets each members’ expectations of a good company ». En 2014, la bucket list comptait 31 idées et les deux tiers d’entre elles ont été mises en œuvre au sein de l’entreprise. Parmi celles-ci on trouve: une entreprise avec de la nourriture et des boissons à volonté, avec une terrasse, des livres partout, des clubs de loisir, un café, de la climatisation, située dans un quartier calme…
Une Bucket list 2.0 a été créée pour 2045 afin d’améliorer encore un peu plus l’environnement de travail des employés. Woowa Brothers a pour but de construire, à partir de cette liste, les nouveaux bâtiments de l’entreprise dans lesquels, à première vue, il y aurait : une garderie pour les enfants, des courts de tennis, une piscine, un bowling, un sauna…. Certaines idées nous semblent décalées, mais on sent tout de même l’envie du CEO de construire conjointement avec ses employés une entreprise qui leur ressemble et qui saura évoluer en fonction des besoins de chacun.
Si cette bucket list fait beaucoup parler d’elle à Séoul, elle est très appréciée des collaborateurs de Woowa Brothers. Pour Seungkwon, c’est la possibilité de se faire entendre et de construire une entreprise par et pour ses employés. L’écoute et la confiance que cela met en exergue développent l’engagement et l’attachement des collaborateurs à l’entreprise.
En outre, la créativité qui en dégage permet de faire émerger des idées pour le développement de l’entreprise en cohérence avec ce qu’elle est puisque qui mieux que les employés de Woowa Brothers connaissent Woowa Brothers ?
Travailler chez Woowa Brother c’est comment ?
Une organisation centrée sur les compétences et les appétences des collaborateurs
Afin d’engager les personnes les plus motivées et prêtes à mettre leurs compétences au service d’une équipe animée par une mission commune, les projets sont répartis à mains levées au sein des équipes chez Woowa Brothers. Seungkwon a particulièrement aimé cette façon de faire car cela lui a permis de changer régulièrement de projets et de ne jamais se lasser de son travail, car tout ce qu’il faisait était en accord avec ses compétences mais surtout ses appétences.
Le but de cette méthode est de permettre à chacun de s’épanouir dans son travail, mais cet engagement spontané implique également des responsabilités fortes chez Woowa Brothers. En effet, chaque collaborateur de Woowa Brothers se voit attribuer une carte de crédit de l’entreprise qu’il peut (et doit) utiliser autant qu’il le souhaite en fonction des besoins du projet dans lequel il est engagé. Aucune limite n’est donnée et aucun regard n’est posé sur les dépenses faites par les collaborateurs, excepté en cas de dépenses trop importantes. Or, Seungkwon nous explique que les excès sont très rares ! La plupart des collaborateurs sont mêmes hésitants à l’idée d’utiliser la carte de l’entreprise, conscients de la lourde responsabilité et de la confiance que cela met en évidence. Nous nous demandons si cette hésitation à utiliser cette carte est d’ordre culturel ou si le simple fait de responsabiliser, via une carte de crédit, un collaborateur le rend plus conscient des tenants et aboutissants de chaque projet d’un point de vue financier ? A creuser !
Enfin les collaborateurs sont également libres de consacrer le nombre d’heures de travail qu’ils souhaitent au projet en cours, la seule obligation réside dans la bonne réalisation finale de ce dernier. Seungkwon nous explique donc qu’il pouvait arriver à l’heure qu’il souhaitait et repartir quand il voulait des locaux de Woowa Brothers sans que personne ne le réprimande : c’est lui qui choisissait ses horaires de travail.
Cependant, Seungkwon nous confie également qu’il a souhaité quitter Woowa Brothers à cause du nombre d’heures supplémentaires effectuées. Cette absence de cadre tendait à allonger les heures de travail plus qu’à les diminuer ; en tout cas, c’était le cas pour Seungkwon.
La confiance et la motivation plutôt que les bonus et évaluations
La confiance et les responsabilités données aux collaborateurs sont les moteurs de leur motivation au quotidien. L’entreprise a donc décidé de ne pas donner de primes à ses employés. L’entreprise mise sur la motivation des employés pour guider l’entreprise, le but étant de créer une entreprise sur-mesure, qui convient à toutes les parties prenantes via la bucket list.
Seungkwon nous éclaire : les leaders de chaque équipe ne s’intéressent pas à la progression chiffrée, numérique de leurs collaborateurs, mais à leur évolution et à l’engagement qu’ils développent pour leurs projets. Il n’y a pas de pression sur le résultat horaire et sur le chiffre d’affaire récolté. Seule une lettre du leader permet de faire le point sur la performance globale de l’année. Cette absence d’évaluation convient parfaitement à Seungkwon et ses collègues qui n’ont pas à subir de pression et sont guidés par leur motivation personnelle plus que par des objectifs numériques. Cette alternative permet aux collaborateurs ne pas de retrouver face à des feedbacks de performance. Ces feedbacks sont très utilisées en Corée du Sud mais tous, autant leaders que collaborateurs, appréhendent le moment où ils vont devoir expliquer leur contre-performance pour ne surtout pas perdre la face.
Les autres clés du succès
La communication : place au débat, si rare en Corée du Sud !
Un autre point sur lequel Woowa Brothers se différencie particulièrement des autres entreprises sud-coréennes concerne la communication au sein de l’entreprise. Les collaborateurs ont la possibilité de communiquer activement et de débattre sur les projets en cours. Lorsque l’un d’entre eux souhaite échanger sur un sujet, il n’a qu’à proposer un meeting sur la plateforme de communication à son équipe et le meeting est prévu. Seungkwon en a manqué plus d’un à ses débuts : ceux-ci sont prévus d’une heure à l’autre et il faut constamment se tenir informé du programme de meeting pour la journée !
L’ensemble des collaborateurs de chez Woowa Brothers, ainsi que le CEO, sont sur le même chat qui leur permet de communiquer tous ensemble sur les dernières nouvelles mais aussi d’échanger des blagues ! Cette proximité avec le CEO est très importante chez Woowa Brothers. Elle est d’ailleurs particulièrement développée grâce au « Bong Time ». Les « Bong Time » sont des sessions d’échanges en groupe pour lesquelles le CEO Kim Bong-Jin se rend disponible tous les mercredis matin à partir de 9 heures. Les collaborateurs sont alors libres de poser des questions sur l’entreprise, de partager leurs inquiétudes et leurs problèmes… Kim Bong-Jin peut ainsi les conseiller et les aider tel un mentor. Les « Bong Time » ont drastiquement réduit la distance qui existe culturellement entre les employés et leur patron en Corée du Sud !
La formation : a study culture
Un autre atout majeur de Woowa Brothers est la formation continue mise en place pour les collaborateurs. Deux fois par semaines des intervenants de toute sorte viennent dans les locaux de l’entreprise afin d’échanger avec les collaborateurs sur leurs expériences, leurs connaissances ou encore leurs opinions. Un professeur d’anglais est également présent tous les midis chez Woowa Brothers afin de dispenser des cours en groupe, ou en particulier à ceux qui le souhaitent.
La grande innovation de Woowa Brothers en termes de formation n’est cependant pas là, mais dans la plateforme Open Source créée par l’entreprise pour ses collaborateurs et ceux des autres entreprises. Cette plateforme a pour but de créer des échanges d’expérience et de connaissances entre les ingénieurs de différentes entreprises et ainsi de créer une émulation positive.
Chaque collaborateur est également encouragé à pratiquer une activité physique et à se détendre en équipe avec ses collègues. Ainsi, il est très facile de former un club de collègues qui partagent la même passion pour un sport ou une activité de loisir. Quand dix collaborateurs ou plus d’au moins 3 départements différents se rencontrent pour un footing par exemple, l’entreprise finance à hauteur de 10 000 won le groupe pour qu’il puisse continuer de faire du footing ensemble.
En plus
Notre ressenti
Nous avons été ravis d’échanger avec Seungwkon au sujet de Wooa Brothers. Son expérience est à la fois très positive mais s’est finie sur une note négative : la fatigue et les heures supplémentaires ont eu raison de sa motivation sur le long terme. Pourtant, Woowa Brothers fait office de pionnier en termes de culture managériale puisque beaucoup d’entreprises privilégient encore un modèle très hiérarchique dont commencent à se fatiguer les plus jeunes.
Nous avons bien senti que cette culture managériale procédait des convictions personnelles du dirigeant qui voulait créer quelque chose de nouveau en accord avec ses collaborateurs. Malgré tout, nous restons assez dubitatifs quant à la portée de cette bucket list, qui finalement, traite le bonheur et le bien-être des employés comme deux choses déconnectées de la mission de l’entreprise, qui d’ailleurs n’est jamais évoquée.
Vous souhaitez engager votre entreprise dans l’innovation managériale ? Discutons-en…
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