Altman Partners a décidé de reconduire son soutien au projet des Baroudeurs de l’Innovation Managériale, une aventure autour du monde de deux étudiants, à la découverte des pratiques d’organisation innovantes. Une source d’inspiration pour vos projets.
Découvrez ci-dessous leur rencontre avec l’entreprise hollandaise Buurtzorg, ce nom ne peut vous être inconnu si vous avez lu Reinventing Organizations de Frédéric Laloux.
Par Cassandre Verriest et Matthieu Vandermersch.
Dès sa création en 2008, le modèle de management de Buurtzorg a révolutionné le système médical au Pays-Bas. Le nombre d’équipes d’infirmières autogérées a rapidement augmenté et on compte aujourd’hui plus de 10 000 infirmières chez Buurtzorg. Une étude menée par KPMG en 2010 a conclu que Buurtzorg permettait de diminuer de 40% la dépense d’aide et de soins par personne accompagnée. Son succès auprès des clients, mais aussi des collaborateurs, inspire aujourd’hui de nombreuses organisations dans 24 pays différents, dont la France !
Lors de nos recherches, nous avions écarté Buurtzorg des entreprises à visiter, pensant que l’abondance des études et des écrits suffisait largement à la compréhension de leur fonctionnement atypique. Cependant, intrinsèquement, nous savions que notre connaissance de cette organisation ne serait jamais assouvie et que nous devions nous imprégner de sa philosophie pour le futur de notre parcours. Nous contactons donc Guillaume Alsac, directeur de Soignons Humain en France, qui nous met en contact avec Madelon van Tilburg, directrice du développement international de Buurtzorg et ancienne infirmière ayant travaillé dans une équipe autogérée pendant 6 ans. Très occupée par son nouveau poste, Madelon accepte cependant de nous rencontrer au cours de sa pause déjeuner dans le cœur d’Amsterdam et quelle rencontre ! Notre échange sincère et riche nous a éclairé sur les pratiques chez Buurtzorg et nous a confirmé, s’il le fallait, son statut de pionnier.
Ce qui nous interpelle
Deux piliers majeurs à la réussite de Buurtzorg : la passion et le partage
Être libéré des contraintes pour vivre et partager sa passion pour son métier
C’est bel et bien la passion du métier et l’envie de redonner goût à la vie des personnes en difficulté qui meuvent les infirmières. Ça, Jos de Blok, fondateur de Buurtzorg, l’a compris et c’est pourquoi il favorise la proximité avec le client et non l’enfermement dans une bureaucratie inhibitrice et frustrante pour les infirmières. Madelon résume tout cela très simplement : «Nous pouvons enfin faire notre métier et surtout faire ce que nous aimons, car quand la passion anime une équipe, tout le monde va dans la même direction, et ainsi chacun trouve sa place… automatiquement. »
Un réseau d’infirmière très bien construit et alimenté
La philosophie de Buurtzorg se fonde sur la simplification : simplifier les procédures, les règles et la communication, afin de se focaliser sur le cœur de métier à savoir les soins aux clients. Le but est clairement d’éviter de perdre du temps sur des tâches non pertinentes. Chez Buurtzorg, les 1000 équipes environ sont totalement autogérées et s’occupent donc de tout le processus des soins médicaux. Elles gèrent, entre autres, la recherche de nouveaux clients, la planification de leurs emplois du temps, les soins aux personnes et elles embauchent même leurs propres collaborateurs. Pour accompagner les infirmières et réaliser les démarches administratives, 50 personnes assurent un suivi depuis le siège social.
21 coachs sont également là pour guider les équipes dans le développement du self-management et les aider à résoudre les problèmes internes et les conflits qui nécessiteraient l’intervention d’un tiers. De nouvelles équipes se forment chaque semaine chez Buurtzorg et chacune d’entre elles peut candidater pour se voir attribuer un voisinage dans lequel elle exercera. Madelon le dit elle-même : « Une fois qu’une équipe est formée, elle trouve sa voie par elle-même ». Chez Buurtzorg, on veut que chaque équipe soit unique et qu’elle vole de ses propres ailes.
L’ organisation des équipes
Une organisation structurée que s’approprie chaque équipe
Comment s’organisent ces équipes au quotidien et en interne ? Très simplement finalement : les équipes travaillent par zone et sont responsables de la clientèle présente sur cette zone. Les infirmières se répartissent ensemble les clients de la journée. Une équipe se compose de maximum 12 personnes. En réalité, les membres des équipes, forts de leurs compétences et affinités, savent quand l’équipe doit se scinder ou non. Madelon nous explique que certaines sont beaucoup plus productives à 6 qu’à 12. La structure des équipes est assez figée car elle permet de donner un cadre aux infirmières. Les équipes se rencontrent toutes les deux semaines pour échanger sur la situation globale, évoquer des cas particuliers… Les rôles au sein des équipes sont également prédéfinis par Buurtzorg.
Toutes les infirmières décident de ce qui doit être fait et par qui ces tâches vont être effectuées. Cette organisation prévoit donc des tâches additionnelles qui dépassent leur cœur de métier d’infirmière et leurs rôles principales. Plusieurs rôles sont donc donnés aux infirmières afin d’assurer le bien-être et la bonne organisation de l’équipe. Il existe 7 rôles prédéfinies qui sont explicités et développés dans le manuel que toutes les infirmières Buurtzorg reçoivent, Self-management, how it does work de Astrid Vermeer et Ben Wenting.
– The main role : Ce main role est le poste pour lequel toutes les collaboratrices ont été embauchées au départ : faire ce qu’elles aiment, leur travail d’infirmière et apporter leur contribution professionnelle à l’équipe et à Buurtzorg.
– The Team Player : Le Team Player est le garant de la dynamique collective, fondée sur le principe du un pour tous, tous pour un. Il/elle encourage la communication au sein de l’équipe, toujours en rapport avec les objectifs fixés et avec l’organisation globale.
Lorsque que Madelon était team player elle posait généralement des questions d’ordre pratique nécessitant une prise de recul : Pourquoi faisons-nous cette chose de cette façon et pas d’une autre ? Quelle décision devons-nous prendre ? Quel défi devons-nous relever ?
–The Housekeeper : Le Housekeeper organise toute l’intendance technique mais aussi la fonctionnalité des « bureaux ». C’est lui/elle qui, régulièrement, informe l’équipe des dépenses et des budgets.
– The Informer : L’Informer surveille la productivité de l’équipe, notamment en publiant des rapports sur le travail effectué et la production de valeur.
– The Developper : Le Developper s’occupe de la collaboration au sein, mais aussi entre toutes les équipes. C’est en s’informant sur les expériences et expertises des autres équipes qu’il/elle peut ensuite en informer la sienne et les faire gagner en compétences et organisation.
– The Planner : Le Planner planifie le temps de travail de chaque équipe en s’assurant qu’il est en accord avec les attentes des clients. Il/elle tient au courant toute l’équipe des calendriers futurs et des changements éventuels. L’ensemble des décisions sont prises avec l’équipe et prennent en considération les attentes et les besoins des infirmières.
– The Mentor : Le Mentor s’occupe des nouveaux entrants et agit comme un coach personnel de chaque membre de l’équipe : travail sur les émotions après une lourde peine, résolution des conflits en interne, développement de l’esprit entrepreneurial de Buurtzorg. C’est généralement quelqu’un de plus expérimenté.
Cependant, il est important de noter que ces rôles ne sont pas du tout fixes. Chaque membre occupe un poste principal, et les autres sont distribués en fonction des appétences de chacun et procèdent d’un choix collectif. Chaque équipe fait ce qu’elle veut en termes de rotation des postes, généralement cela se fait deux fois par an, mais encore une fois, il n’y a aucune obligation.
Si les infirmières ont toutes le même statut et des responsabilités équivalentes dans l’équipe, elles n’ont cependant pas toutes les mêmes expériences et les mêmes compétences. Cinq niveaux peuvent être décelés dans les équipes, avec bien sûr des possibilités de mobilité ou d’évolution au cours du temps :
– Niveau 1-2 : Les infirmières avec éducation minimum ou nouveaux entrants.
– Niveau 3 : Les nurse assistants qui ont minimum trois années d’éducation et qui représentent généralement 80% de l’équipe.
– Niveau 4 : Les register nurses qui sont des nurse assistants ayant une expérience accrue dans l’entreprise.
– Niveau 5 : Les special nurses qui sont des infirmières très confirmées, avec beaucoup d’expériences au sein de Buurtzorg.
Cette hiérarchisation permet d’organiser de façon plus efficiente le travail de l’équipe et inclut une différenciation en termes de salaire. Les infirmières de niveau 1-2 et les infirmières de niveau 5 ne procurent pas les mêmes soins et ne s’occupent donc pas des mêmes personnes. Cependant, les infirmières de niveaux 3 et 4 ont toujours la possibilité de se former et d’évoluer.
L’intégration et la cohésion dans les équipes
Faire son entrée dans une équipe Buurtzorg
Le recrutement se fait souvent sur la base d’échanges informels entamés entre les infirmières de chez Buurtzorg qui ont connaissance d’un poste à pourvoir ou vacant dans leur équipe avec d’autres infirmières. Une lettre de motivation et un CV sont demandés afin de vérifier les qualifications du candidat puis deux infirmières se portent volontaires pour une rencontre avec la personne en question. Il n’y a pas de structure prédéfinie concernant les entretiens, chaque équipe les mène comme bon lui semble afin de cerner si la personne est suffisamment motivée pour intégrer l’équipe. Les deux infirmières évoquent ensuite l’entretien avec les autres membres de l’équipe et elles décident ou non, d’une même voix, de l’intégration de la personne dans l’équipe. Deux mois sont ensuite alloués pour tout désengagement de la part de la nouvelle infirmière.
Se construire personnellement et humainement
Chaque année, Buurtzorg alloue un budget « fun » à ses équipes pour les déconnecter du monde professionnel parfois très absorbant et leur permettre de s’évader et de développer des liens affectifs. Les équipes sont également libres d’allouer un budget pour leurs moments de détente communs : une bière en terrasse, un barbecue ensemble, tout est possible.
La technologie chez Buurtzorg
Partager ses expériences, développer ses compétences, communiquer et tant d’autres choses !
Le réseau de 1000 équipes de Buurtzorg est bien plus qu’une somme de toutes les équipes. Pour optimiser ce puissant réseau, Buurtzorg a établi une gigantesque infrastructure informatique collaborative, le Buurtzorg Web, qui promeut l’échange de connaissance, le focus client, et l’alignement des valeurs. Cette plateforme a plusieurs objectifs :
– L’entraide : Si une infirmière rencontre un problème qu’elle ne sait pas résoudre seule, elle pose la question sur le réseau et reçoit une réponse de la part d’une ou plusieurs de ses 10 000 collègues.
– Le partage de l’expérience et du travail des équipes grâce au Team Inside qui donne, pour chaque équipe, une vue d’ensemble sur le temps passé avec chaque client, l’organisation de l’équipe… Ce partage d’expérience permet à chaque équipe d’aller puiser chez leurs homologues des idées pour s’améliorer.
– La communication : Jos de Blok publie régulièrement des messages au travers du blog afin d’informer ses collaborateurs des changements principaux ou des nouveautés de l’entreprise. Il pose également beaucoup de questions afin de collecter l’avis des équipes. La discussion est libre et le sentiment d’appartenance à Buurtzorg n’en est que plus fort.
– La formation : un espace de e-learning est disponible afin de développer de nouveaux talents, mais aussi de découvrir plus amplement ce qui se cache derrière le self-management.
L’intelligence émotionnelle
Comment gérer ses émotions dans un contexte qui les amplifie perpétuellement ?
Madelon nous explique qu’au sein des équipes, afin de favoriser la vraie communication et la productivité, ils utilisent la Solution Driven Method of Interaction (SDMI) qui est enseignée avant d’entrer dans les équipes de Buurtzorg à tous les futurs membres. Bien sûr cette façon de faire est à adapter en fonction des besoins de chacun. Il y a toutefois une structure en cinq points qui est transposable :
1) Le but : A quoi veut-on arriver ?
2) La position : De quoi est-on responsable ? Que peut-on choisir de façon personnelle ? Sur quels points je dois demander l’avis des autres ? Quelles sont mes compétences ?
3) La méthode travail : Comment va-t-on faire pour arriver à son but ?
4) La méthode de communication : Communiquer avec chacun d’une façon respectueuse, claire.
5) Le temps : Combien ai-je de temps pour arriver à mon but ? Y-a-t-il une deadline ?
Cette méthode se révèle particulièrement efficace concernant les conflits puisqu’elle donne des façons concrètes d’y remédier. En effet dans les équipes autogérées, les conflits sont particulièrement complexes à résoudre et nécessitent une approche spécifique étant donné l’absence de hiérarchie et de personne désignée pour trancher. Cette stratégie promeut l’optimisme et l’efficacité plutôt que l’évocation de mauvaises émotions et de tensions. Effectivement, ces tensions ont tendance à s’accroître au fur et à mesure de la discussion. Selon le SDMI, si les interlocuteurs se concentrent sur le fond du problème, en se projetant dans le concret, les émotions deviennent automatiquement plus faibles et la colère, la peur ou la tristesse sont remplacées par le calme et l’écoute.
Malgré tout, Madelon nous explique enfin que l’expression des émotions quand elles ne sont pas ressenties envers les membres de l’équipe sont essentielles, surtout dans le milieu médical où les peines sont nombreuses et où l’attachement au client peut parfois être fort. Selon elle, l’équipe est un soutien primordial. Toutes les infirmières connaissent les patients et ont un jour été en contact, ne serait-ce que pour le « Drink coffee » qui est un moment d’écoute et d’échange avec le client pour comprendre sa situation et ses besoins au début de chaque prise en charge. Partager la même connaissance du client permet donc à chacune de se sentir comprise et épaulée dans les moments difficiles. Parler de ses émotions, pour Madelon, c’est également un moyen de s’échapper du travail qui peut être dur émotionnellement et partager quelque chose de fort avec les membres de son équipe qui deviennent finalement très vite, des amis.
En plus
Madelon chez Buurtzorg
L’entrée de Madelon chez Buurtzorg a été guidée par deux de ses frustrations à l’époque : celle de ne pas faire son métier d’infirmière comme elle le voudrait et celle de ne pas répondre aux attentes de ses clients. Ce sont ces frustrations, nourries par un manque de sens et donc d’engagement dans son travail, qui la poussent à entrer chez Buurtzorg, une toute nouvelle structure créée par Jos de Block à peine 2 ans auparavant, mais qui bouscule déjà les codes des soins aux personnes. Elle y retrouve le goût de son métier et s’intègre très facilement à l’organisation en self management de l’entreprise, tout simplement parce qu’elle acquiert l’autonomie qui lui manquait pour pratiquer au mieux sa passion.
Les deux approches possibles dans une organisation en self-management
Dans beaucoup d’organisations, ce sont les leaders qui prennent les initiatives afin de convertir les équipes au self-management. Leur leadership est tourné autour du self-management qui est un prérequis au bon fonctionnement de l’organisation : c’est l’approche Top Down. Pour d’autres, le self-management dérive du résultat de l’écoute des besoins spécifiques des employés : c’est l’approche Bottom Up du processus de feedback. Chez Buurtzorg, Jos de Blok a créé une approche complètement Top Down au départ pour ensuite s’orienter de plus en plus, pour une amélioration continue, vers l’approche Bottom up.
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