Et si l’entreprise était un monde complexe ? Si la finance, le marketing, la stratégie, le management, les ressources humaines n’étaient pas des thèmes isolés les uns des autres comme semble parfois le laisser penser l’organigramme de certains groupes ou le programme de certaines écoles de commerce ?
L’être humain a une tendance naturelle a fuir la complexité. Notre cerveau est conçu pour simplifier en permanence la réalité de manière à nous faire gagner du temps et de l’énergie. Appelons-les « préjugés », « interprétations » ou encore « modèles », peu importe, ces fonctionnements qui ont leur utilité dans certaines circonstances peuvent rapidement devenir handicapants dans d’autres. Ainsi en est-il de la tendance à se focaliser sur un seul aspect d’un problème en ignorant, par habitude ou par paresse, d’autres dimensions qui pourraient se révéler importantes et avoir des conséquences à long terme. C’est ce que nous appellerons la « pensée linéaire » ou « pensée tunnel », à l’opposé de la « pensée systémique ». Ce phénomène est flagrant dans les organisations très structurées ou chacun s’accroche à son point de vue comme à une bouée de sauvetage et renonce à ne serait-ce qu’écouter celui de l’autre. L’opposition entre syndicats et patrons, ou encore l’extrême spécialisation des consultants en tous genre, en sont également d’autres manifestations.
L’exemple qui nous vient à l’esprit est celui de cette PME de 20m€ de chiffre d’affaires reprise par un groupe détenu en majorité par un fonds d’investissement. En 2008, quelques temps après son rachat l’entreprise est confrontée aux premiers écueils de la crise et voit son carnet de commande et sa rentabilité se réduire sensiblement. La réaction des nouveaux actionnaires financiers est centrée sur la réduction des coûts de structure. Même si elle se traduit par des licenciements, cette réaction qui vise à préparer l’entreprise pour des temps plus durs peut être tout à fait saine et même salvatrice. Ce qui pose problème selon nous c’est que cet enjeu de la réduction des coûts est traité à ce moment là comme un sujet isolé. La pensée tunnel s’est mise en action ! Certes, les dirigeants anticipent une réaction des salariés mais l’envisagent comme un obstacle à franchir. Aucun projet n’est proposé aux équipes ou aux partenaires de l’entreprise. Personne ne voit l’opportunité de réinventer ses manières de faire en profitant de cette crise qui oblige à changer. On s’attèle à un objectif isolé sans prendre en considération l’ensemble du système ou les relations qui le sous-tendent .
La pensée systémique, développée à partir des années 60, nous invite à ne pas céder à l’approche parcellaire des sciences exactes issues du cartesianisme. Elle nous propose au contraire de consacrer autant d’attention aux liens existant entre différents éléments d’un système, qu’aux éléments eux-mêmes. Dans le cas de l’entreprise, cette démarche nous incite à nous intéresser aux relations que celle-ci entretient avec chacune de ses parties prenantes que sont ses salariés, ses clients, ses actionnaires ou encore ses fournisseurs, ses partenaires commerciaux, ses prescripteurs, etc. De la qualité de ces relations dépend l’avenir à long terme de l’organisation.
Réduire les coûts en licenciant du personnel va certes permettre d’améliorer les résultats et donc le lien entre l’entreprise et ses actionnaires (ce sont d’ailleurs, dans le cas présent, eux qui sont à l’origine de la demande). Mais, cette action peut également, si une grande attention n’y est pas portée, avoir pour effet d’abîmer le lien existant entre l’entreprise et ses équipes, voir ses clients (en modifiant la qualité de production par exemple).
Alors, comment anticiper ces risques et les prévenir ?
En manageant en 3D ! Ce que nous appelons le management en 3D c’est la tournure d’esprit qui consiste à envisager, lors de chaque décision importante, l’impact que celle-ci pourrait avoir sur le « deal » (les termes tacites de la relation) existant entre l’organisation et chacune de ses parties prenantes. S’il est probable qu’un ou plusieurs de ces deals va être remis en cause par la décision, il est indispensable d’échanger avec la ou les parties prenantes concernées afin de permettre à un nouveau deal de prendre forme.
L’importance de cette démarche saute aux yeux lorsqu’on s’appuie sur la métaphore du couple : Lorsqu’après des années de vie commune et la naissance de trois enfants, l’un des parents prend la décision de rompre, le deal implicite entre lui et son conjoint vole en éclats (ainsi d’ailleurs que le deal existant avec chacun des enfants). Pour que le système familial puisse survivre dans de bonnes conditions, en d’autres termes pour que les conflits du départ puissent être dépassés et que les relations redeviennent conviviales malgré la séparation, il va falloir que de nouveaux deals acceptés par tous se mettent en place. Seul le dialogue et le respect de l’autre permettront d’y parvenir. Rares sont les couples séparés à parvenir à cet objectif.
L’incapacité à adresser ce type d’enjeux pourrait bien expliquer la très grande proportion d’échecs lors des opérations de fusions-acquisitions (75% d’entre-elles ne créeraient pas de valeur, 50% en détruiraient). Quelle évènement impacte en effet davantage la relation entre une organisation et ses parties prenantes qu’un changement d’actionnaire et/ou de dirigeant ? Mettez vous un instant à la place du collaborateur qui voit du jour au lendemain son patron paternaliste et peu regardant sur les résultats remplacé par un jeune financier envoyé par le fonds d’investissement qui vient de prendre possession de l’entreprise. Imaginez à quel point le deal, ce lien invisible qui le reliait à son entreprise, va être modifié. Imaginez comment cela peut impacter le sens qu’il trouve à son emploi et sa motivation. Imaginez aussi comment ce changement de culture à la tête du groupe peut impacter les autres relations, avec les clients, les partenaires commerciaux, etc. Mais attention, notre propos n’est pas ici d’inciter à renoncer à ce type d’opération ou à tout changement de culture dans les organisations, bien au contraire. Il est simplement d’attirer l’attention sur l’existence de ces liens et sur l’importance d’accompagner leur évolution par un dialogue favorable à leur survie. Il est très aisé de trouver des exemples d’entreprises mortes de n’avoir pas su préserver ces liens invisibles, informels et pourtant essentiels.
Après des années fastes, la crise nous a rappelé à tous combien les mondes que nous rêvions stables peuvent parfois changer rapidement. Ce changement peut être subi ou accompagné. Nous croyons que la pensée systémique et ce que nous appelons ici le management en 3D peuvent constituer des outils très puissants pour accompagner plutôt que de subir. Et si l’art du changement organisationnel était avant tout un art de l’évolution progressive des relations au sein de l’entreprise…
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